"Accoucher"
Un mot qui
me paraissait bien abstrait avant de tomber enceinte. Je savais
pertinemment que je passerais par là un jour mais tout est devenu
plus concret lorsque tu t'es logée au creux de mon ventre, bien au
chaud. Tôt ou tard, après neuf mois de patience, tu pointerais le
bout de ton nez.
J'essayais de ne pas trop
y penser, la perspective de cette étape ne m'enchantant pas. J'avais
hâte de te rencontrer mais pas vraiment de passer par là. Entre
temps, j'avais fait connaissance avec un tas de mots pas très sympa
: épisiotomie, péridurale, césarienne, contractions,
dépassement de terme... Rien qui donne très envie.
S'ajoutait à cela le facteur "Inconnu",
avec un grand I,
parce qu'on a beau faire des cours de préparation à la naissance,
on ne peut pas réellement savoir ce qui va nous arriver.
C'était un après
midi comme les autres. Jusqu'alors ma grossesse
était plutôt paisible, presque facile. Passée la fatigue des
premiers mois puis des douleurs ligamentaires, seul mon dos me
faisait encore souffrir. Rien d'insurmontable toutefois.
Ce jour-là, nous faisions les magasins tranquillement avec ton Papa.
J'avais craqué sur un manteau que j'ai toujours d'ailleurs même
s'il depuis bien longtemps trop petit.
J'ai été soudainement
prise d'un doute. Depuis
combien de temps n'avais-tu pas bougé ? Pourtant,
tu étais de ses bébés hyperactifs qui remuait sans cesse, me
martelant avec tes petits pieds. Je ne sais pas pourquoi je sentais
que quelques choses clochait. Sur le chemin de la maison, j'essayais
de me rassurer. J'avais vu le gynéco quatre jours avant et il
m'avait assuré, certain, que notre aventure irait jusqu'à terme.
Peut-être
que tu te plaçais... Après tout, il ne restait plus que deux
semaines. La place commençait sûrement à te manquer.
On est rentrés, à la
fois inquiet mais se rassurant l'un l'autre.
Après tout, on s'inquiétait peut-être pour rien. Je me suis
allongée, cherchant à me reposer. Peut-être est-ce tout ce dont
j'avais besoin...?Nos petites astuces pour te réveiller ne
marchaient pas. La main froide de Papa,
les stimulations de Maman...
On a appelé l’hôpital dans lequel j'étais suivi, à une plus
d'une heure de chez nous. Eux aussi se sont montrés
rassurant. Inutile de faire la route. Si vraiment
j'avais peur, il me conseillait de me rendre dans celui de ma ville,
à Amiens.
Juste
pour se rassurer, les batteries de téléphones presque à vides,
sans les valises de maternités (pourtant prêtes depuis deux mois),
on s'y est rendu, persuadés qu'on serait vite sorti.
Je me souviens de
l'horloge dans l'entrée des Urgences Gynécologiques, elle affichait
vingt heures. J'expliquais mon problème et, très vite, on me
brancha à un monitoring. Tout allait bien. On se
voyait déjà sorti, faisant un crochet pour prendre un truc à
manger. J'avais faim.
"Vous
voyez tout va bien ! Allez encore 10 minutes et on vous libère".
10
minutes. D'habitude, ça passe très vite. Mais là, elles
nous avaient semblé interminables. Et soudainement, on a perdu la
notion du temps, concentré sur la machine. Ton rythme cardiaque
s'est vu brusquement ralentir, passant de 160 à 60. On a échangé
un regard affolé. Pourquoi
personne ne vient ? Il est remonté doucement. La
sage femme est revenue, moins souriante. Elle nous a expliqué que le
bébé était probablement fatigué, que dans tous les cas, je
passerais ma nuit à l’hôpital. Tout s'est bousculé dans nos
têtes. On ne s'était pas préparé à ça. On
avait les yeux rivés sur la porte close, dans l'espoir qu'on nous
donne plus de détails. Bébé
était fatigué. C'est tout ce qu'on savait.
Le cauchemar a continué.
Une nouvelle fois, son rythme cardiaque a dégringolé pour remonter
doucement, dans un concert de "bip" bien sonore. La
porte s'est ouverte, toujours cette même mine bien moins enjouée.
Cette fois, elle a parlé de "déclenchement",
posant au passage un tas de questions.
Des
contractions ? Est ce que je sentais bébé bouger ?
Non, je ne
ressentais pas grand chose. Aucune contractions, le bébé ne
bougeait toujours pas. Par contre, je sentais cette boule dans ma
gorge, ce ventre qui se nouait et l'angoisse qui ne cessait de
s'accroître. Je savais intérieurement que c'était pour ce soir.
Nous ignorions juste ce qui nous attendait. Ton Papa était
toujours là, aussi inquiet que moi.
Troisième
fois ou la fois de trop.
On m'a demandé de lever
pour changer de pièce. J'ai atterri dans un endroit bourrés de
machines et de grands casiers remplis de matériel médicaux. La sage
femme n'était plus seule. Je me rappelle d'une certaine
effervescence, d'une femme à lunettes qu'on
traitait avec respect et qui apparemment, était venu pour comprendre
d'où venait le problème. Il me semble que c'était la chef de
service. Ils m'ont installé dans un nouveau lit. Quelques secondes
plus tard, on sondait mon ventre. Je ne distinguais pas grand chose
sur l'échographe. J'ai tourné la tête vers Jérémie qui avait
toujours son air soucieux. Et
de quatre.
Là, il n'était plus
question de plaisanter. La pièce est devenue une véritable
fourmilière. La chef de service avait disparu mais elle fut
rapidement remplacée par une foule de personnes qui nous a entouré,
fouillant les tiroirs, claquant les portes de l'armoire métallique.
La sentence était tombée, je partais en césarienne
d'urgence.
Difficile de se préparer
mentalement à cette idée, on prend conscience que l'heure
est grave, que cet accouchement sera fait seul.
J'avais gardé l'hypothèse de la césarienne dans un coin de ma tête
mais jusqu'à ce moment là elle m'avait paru bien lointaine, presque
impossible. Tout
se concrétisait alors. Brusquement. Sans crier gare. Pas dans les
meilleures conditions.
Ils ont sorti leur engin
de torture. Une sorte de rasoir qui épilait plus qu'il ne
rasait. Je me souviens de l'aide soignante qui ne trouvait plus le
dissolvant. Tout s'est précipité. Tant pis, il fallait que j'aille
au bloc.
Un
bisou à Papa et on y va !
Ton papa m'avait embrassé
tandis que je basculai dans un autre monde. Ce monde où l'angoisse
était passé maître et où mon esprit était déjà vaincu. Les
larmes avaient envahi mes yeux, j'aurais tout fait à ce moment-là
pour arrêter le temps.
Sauf que le lit
avançait inévitablement vers le bloc opératoire,
sans que je puisse rien y faire. On a passé la porte et à
l'intérieur s'activait des personnes en blouse mais aucun visage
familier pour me réconforter. Ah si, la femme à lunettes était de
retour, prête.
L'anesthésiste a
débarqué. Lui était plutôt sympathique. Dans la
cohue, je n'écoutais pas. L'angoisse s'était intensifiée, encore
plus oppressante. Les battements de mon cœur résonnait dans mes
oreilles. Je n'arrivais plus à retrouver mon calme et ce qui devait
arriver, arriva malheureusement. Une crise d'angoisse, celle qui te
coupe le souffle et qui t'empêche de respirer. Mes oreilles
bourdonnaient. Je n'entendais plus rien.
C'est à ce moment qu'un
des membres de l'équipe m'a serré dans les bras. Je me souviens du
son de sa voix bienveillante et ferme. C'est sûrement ça qui
m'a ramené
à la réalité.
Vous
me serrez autant que vous voulez mais maintenant il ne va plus
falloir bouger, on doit vous poser la péridurale.
Je me suis concentrée
sur ça. Cette bribe d'humanité et ce bref instant de réconfort
dans cet univers très médicalisé suffirent à me permettre de
retrouver un peu de lucidité. J'ai senti cette aiguille qui s'est
frayée un chemin entre mes vertèbres. Désagréable mais
pas douloureux. C'était déjà fini. On m'a allongé sur la
table, posant un champ qui me séparait de l'équipe et surtout qui
m'empêchait de voir ce qui allait suivre. Je ne me souviens pas
exactement de tout, comme dans un état second. J'étais
fatiguée. Le pic d'adrénaline qui j'avais ressenti s'étant
estompé, je me sentais "molle".
23h20
Vingt
minutes : c'est le temps qu'il aura fallu pour que
tu sortes de mon ventre, quatre personnes appuyant dessus pour que tu
veuilles bien sortir. Avec appréhension, j'ai attendu que tu
cries. Mais
tu ne l'as pas fait. C'est bête mais j'attendais
simplement ça. Il fallait que tu cries, un peu comme
dans les films, pour célébrer ta venue dans ce
monde qui t'étais encore étranger. Il fallait que tu cries, comme
pour me montrer que tu étais en bonne santé. J'ai
senti ta joue contre la mienne, une brève seconde et tu es partie.
Apparemment, on t'attendait de l'autre côté. Tu allais être bien
entouré.
J'ai attendu, attendu
longuement, traversé par ce sentiment d'incertitude. Celui
qui m'avait étreint et tenu la main durant toute l'opération me
proposa d'aller voir. Sur le moment, j'ai trouvé sa question
tellement idiote qu'il ne m'avait pas fallu lui répondre. Je crois
que mon regard en disait tellement long qu'il avait compris.
"Elle
va bien"
Un soulagement immense a
traversé mon corps. Ces trois mots ont suffit à me rassurer. Je
n'avais plus peur. Je savais que tu serais ou étais déjà avec
ton Papa.
Le plus long ensuite a été de patienter, sagement, jusqu'au moment
où moi aussi je pourrais te voir.
D'abord, un peu de
couture attendait les médecins. Bien quarante minutes se sont
écoulés avant qu'il ait fini. Ensuite, il y a eu un problème
d'attribution de lit. Celui qui m'était destiné avait été
attribué par erreur à la femme qui passait après moi en
césarienne. J'avais attendu, grelottante, avant de débouler le
médecin (le fameux) et l'anesthésiste, l'air victorieux : "On
a volé un lit !".
Pour finir, j'ai
attendu quatre
heures interminables. Je ne voulais pas dormir pour que
le temps qui nous séparait ne s'allonge pas davantage. Je me
sentais faible mais lucide. Je ne voulais qu'une chose : te
rencontrer. Peut-être ai-je somnolé. Enfin, il
était compliqué de tomber dans les bras de Morphée quand quelqu'un
vient t'appuyer par deux fois au milieu du ventre pour vérifier que
ton utérus reprenne correctement sa place.
La
chambre était vide. Désespéramment vide. Mais où étais-tu mon
bébé ? Et Jérémie ?
Je me suis trouvée face
à une nouvelle tête. "Ils arrivent", m'avait-elle dit.
Tout en faisant ma toilette, elle m'a demandé si je voulais parler
de ce qui m'était arrivé. Évoquer cette césarienne ne
m'avait pas paru indispensable sur le moment. Ce que je voulais,
c'était voir
ma fille.
Lorsqu'ils sont enfin
arrivés, j'ai tout oublié. T'avoir
dans mes bras, si petite, l'air si apaisée a suffit à faire
disparaitre ma peine. On oublie tout. C'est
peut-être difficile à comprendre, surtout si on ne l'a jamais vécu.
Mais, cet être, pesant seulement trois kilos et quarante-six
centimètres, a réussi cet exploit.
Le
24 octobre 2014, j'ai accouché de toi, ma Lyloo, au CHU de Salouël,
en Picardie. Ce que vous venez de lire, c'est mon histoire.
Une histoire que j'ai tue durant plus de quatre ans, parce que je ne
voyais pas vraiment l'utilité d'en parler. Bien sûr, il m'est
arrivé de la raconter lorsqu'on me posait la question, avec plus ou
moins de détails. Je ne l'avais jamais couché sur le papier
auparavant. C'est sûrement la perspective d'accoucher une nouvelle
fois qui me pousse à écrire, avec cette probabilité que je doive,
peut-être accoucher par césarienne. Je n'écris surtout pas
pour faire peur. Il n'y a pas vraiment de but à part
d'extérioriser ce que je ressens, de partager ce que j'ai vécu, un
peu comme un exécutoire. Chaque accouchement est différent, chacun
le vit d'une manière différente.
Merci
de m'avoir lu 💕
A
bientôt
Léa.
2 commentaires
Oh ma belle merci pour ton vécu que tu nous partage. Je comprends ton angoisse mais parfois un accouchement peut être différent. Tendresse
RépondreSupprimerSuperbe article. Merci à toi de nous avoir partagé ton récit de ton premier accouchement. Je n’en ai pas perdu une seule miette. À la lecture j’ai compris ton angoisse... heureuse que tout se fini bien ❤️❤️
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